Triton Spirotechnique : un batracien pas comme les autres

La Spirotechnique occupe une place de choix dans l’histoire de la plongée subaquatique moderne. Cette filiale de l’Air liquide a su, depuis sept décennies, développer des équipements de plongée de renommée mondiale. Sur le fil de cette riche histoire est accroché un étrange batracien du nom de Triton. Une vraie montre d’ingénieur, aussi performante qu’atypique, et aujourd’hui très recherchée.

Déjà au premier plan dans le domaine des équipements de plongée, la Spirotechnique aborde la décennie 1960 avec de grandes ambitions. Des ateliers de la rue Trebois, à Levallois-Perret, elle rayonne sur tous les continents, et notamment aux États-Unis, où sa marque internationale Aqualung connaît un réel succès.

LA SPIROTECHNIQUE - Publicité, circa 1960.
LA SPIROTECHNIQUE – Publicité, circa 1960.

Soucieuse de proposer un éventail complet d’équipements, La Spirotechnique et Aqualung intègrent à leur catalogue des montres-bracelets dédiées à la plongée amateur et professionnelle. On y trouve ainsi les légendaires Blancpain, les Skin Diver (Aqualung, Orator, U.S. Divers) mais aussi, par exemple, les premières Aquastar. Dans le même temps, la société songe à un modèle dont la conception serait entièrement fondée sur le besoin de l’utilisateur. Une montre conçue par des plongeurs plus que par des horlogers.

Nous sommes en 1962 et la mission est confiée à un ami du commandant Cousteau, cofondateur de La Spirotechnique en 1946, ancien colonel de l’armée de l’Air, Jean-René Parmentier. Ainsi apparaît, un an plus tard, la légendaire Triton.

Le design au service de la fonction

Depuis des décennies, le design est présent partout dans notre quotidien mais rares sont les objets qui en incarnent véritablement l’essence. Le terme design évoque tantôt un certain caractère esthétique, tantôt une recherche sur le plan fonctionnel, le résultat étant souvent une combinaison plus ou moins heureuse de ces deux paramètres, mis en concurrence au cours de la conception. Les vrais chefs-d’œuvre du design sont, à l’inverse, ces objets qui réconcilient l’esthétique et le fonctionnel non pas dans le compromis mais dans la fusion intime. La Triton Spirotechnique est de ces chefs-d’œuvre où la beauté ne résulte pas d’un travail décoratif, d’une couche extérieure destinée à rendre l’outil flatteur, mais de l’outil lui-même, de l’intelligence et de la qualité de sa conception technique et fonctionnelle.

Nous l’avons souvent écrit sur ce blog : la plongée autonome, dans ces premières décennies, ouvre les portes d’un nouveau monde silencieux et fascinant. Elle offre une liberté de mouvement inédite mais reste une activité qui, dans un environnement très inhospitalier pour l’homme, s’avère particulièrement dangereuse. La qualité, la fiabilité, la robustesse des équipements ne sont pas seulement des exigences pratiques : ce sont des critères vitaux. C’est pour répondre à ces critères que l’ingénieur Jean-René Parmentier dessine, en 1962, pour la maison Dodane, elle-même missionnée par La Spirotechnique, un spectaculaire boîtier en acier coiffé d’une couronne à douze heures.

Ce dispositif permet à la fois de ne pas voir les mouvements du poignet gênés par une couronne traditionnellement positionnée à trois heures, mais aussi d’éviter un arrachement ou un dévissage accidentel en la protégeant par une pièce articulée venant l’épouser entre la carrure et le bracelet.

TRITON Spirotechnique, type I, 1963.

Ce système, également appliqué aux ZRC Grands-Fonds développées à la même époque, fut breveté par Parmentier.

TRITON Spirotechnique, type I, 1963. ZRC Grands-Fonds 300 m, type III, circa 1967.

À ce moment, la montre est destinée à s’appeler Calypso, évocation de la nymphe amoureuse d’Ulysse mais aussi du navire du commandant Cousteau. Un document extrait d’un catalogue laisse également supposer que l’appellation Amphitrite aurait également été envisagée. Issue elle aussi de la mythologie grecque (Néréide déesse de la mer et des monstres marins). Surnommée le « Boudin », l’Amphitrite était également, dans la flotte de Cousteau, le plus grand navire pneumatique du monde, construit par Zodiac.

TRITON Amphitrite.

IMG - Dimensions V2LHC : 39 mm. LCC : 37 mm. LHT : 50 mm. EC : 20 mm. EHT : n.d.

Références 143.100 et 155.100

Dans la première version, référence 143.100, cette couronne, qui a pris le nom de son concepteur, présente en outre la particularité d’être protégée de l’humidité par un capuchon vissé et un joint.

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La couronne Parmentier

Cette version se distingue par un cadran dit « trois lignes », désignant les trois lignes de texte inscrites au-dessus du 6, avec deux versions :

25 RUBIS
AUTOMATIC
INCABLOC

AUTOMATIQUE
30 RUBIS
INCABLOC

On trouve, par ailleurs, de très rares configurations de cadrans dans lesquelles les index lumineux sont positionnés plus loin du centre. Ces exemplaires correspondent a priori aux toutes premières produites (écritures sur trois lignes, couronne Parmentier, numéro de série à trois chiffres) :

Une bizarrerie…

Christophe Gosteaux (montresanciennes.fr) a restauré une Triton munie d’un unique cadran noir marqué Triton J. De tels cadrans ont-ils été montés dès l’origine dans des boîtes de Triton Spirotechnique ?

TRITON Spirotechnique, réf. 155.100, cadran Triton J.

La fiabilité de la couronne Parmentier est toutefois mise à mal par la perte fréquente du fameux capuchon. D’ailleurs, nombreuses sont les Triton Spirotechnique de première génération qui, s’en trouvant dépourvues, ont été « reconditionnées » avec des couronnes vissées provenant de chez… Rolex.

La génération suivante, référence 155-100, renonce donc à ce dispositif au profit d’une couronne vissée plus classique. Ce n’est pas sa seule évolution.

Sur le cadran, la mention « 25 RUBIS » disparaît, d’où son appellation « deux lignes », et le fond de boîte délaisse, sur les derniers exemplaires, le plongeur et la roue de gouvernail au profit d’un plus sobre fond plat et brossé.

Trois types de lunettes

La Triton Spirotechnique est proposée avec trois types de lunette en epoxy interchangeables, munies chacune d’un insert en acrylique : la première, graduée en minutes, est de loin la plus courante. Plus rares, pour ne pas dire rarissimes, sont les exemplaires munis de lunettes dites de décompression, graduées en mètres (version Marine nationale) et en pieds (version US Navy).

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La lunette de décompression

JENNY Caribbean – Brevet de lunette de plongée, 1971.
Mouvements ETA

Lors de la conception de la Triton, les ingénieurs n’ont pas dû hésiter très longtemps dans le choix du mouvement. La manufacture ETA produit des calibres d’excellente qualité, fiables et précis, et il est inutile de chercher plus loin.

Ainsi, les premières versions abritent-elles un calibre ETA 2452, souvent associé à une date « roulette » (rouge-noir). On trouvera ensuite des ETA 2472, 2482, 2483, à date rapide.

Conclusion

Produite entre 1963 et 1970, la Triton Spirotechnique ne sera disponible que dans les réseaux de distribution de matériel de plongée, à des prix alors supérieurs aux Rolex Submariner !

triton9b

Est-ce ce prix élevé qui sonna si rapidement le glas de cette tool-watch de légende ? Difficile de dire. On voit bien qu’à l’époque, l’industrie haut-de-gamme française peine à faire recette tandis que les plus grands succès se nomment Renault 4L ou Citroën 2CV. La Citroën DS, autre chef-d’œuvre de design et de technique, connaît une honorable carrière en France mais peinera à s’exporter. Trop radicale peut-être, la Triton Spirotechnique restera une montre confidentielle réservée aux amateurs éclairés.

Aujourd’hui redécouverte par les collectionneurs, elle a même fait l’objet d’un hommage appuyé grâce aux investissements des repreneurs de la marque Triton. Avec la Subphotique, ils signent un engin de belle qualité, à la présentation flatteuse. Dommage seulement que le prix, imputable à sa production en petite série (et probablement à l’investissement marketing) soit prohibitif…

Attachée à l’épopée des pionniers de la plongée moderne, à la Marine nationale et à une forme et une époque particulière du « génie français », la Triton mérite largement la considération qui lui est désormais accordée.

Références
  • Forum à montres. [fr] La Spirotechnique et les montres : fil de discussion où il est question de montres (un peu) mais aussi de la passionnante histoire de la plongée moderne.
  • Forum MDP. [fr] Fil de discussion sur les Triton à lunette de décompression.
  • Mi Piace. [fr] Bel article documenté sur les Triton Spirotechnique sur le blog d’Erick Dondellinger.
  • Les Rhabilleurs. [fr] Évocation de la Triton et de l’Auricoste Spirotechnique.
  • Moonphase.fr. [fr] De la Spirotechnique à la récente Subphotique.
  • Soblacktie.com. [fr] Présentation de la Triton Subphotique.
  • Heuerworld.com. [en] Sur le site de Paul Gavin, grand collectionneur britannique, des images somptueuses qui illustrent cet article.
  • Crédits photos : merci tout particulier à mon ami Lucchese, grand fanatique de montres de plongée, qui a eu la chance de voir passer beaucoup de ZRC et de Triton Spirotechnique, jusqu’à cet exceptionnel modèle à lunette de décompression « Marine nationale » qui fera baver tous les amateurs. Merci aussi à Erick Dondellinger, qui détient des exemplaires exceptionnels et partage sur son site Mi Piace des informations de référence sur ce modèle… et beaucoup d’autres.

11 commentaires sur « Triton Spirotechnique : un batracien pas comme les autres »

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