Ces derniers temps, on a vu surgir à la vente des « lunettes Autavia neuves de stock » dotées d’une échelle numérique peu courante. Il s’agit de lunettes dites « de décompression ». Si l’histoire de ces lunettes Autavia est contée sur le site Calibre11, ce type de graduation se rencontre sur quelques autres modèles destinés à la plongée professionnelle.
Décompression : quézaco ?
Si les premières observations et théories sur la compression des gaz débutent du XVIe siècle, ce n’est qu’au XIXe que la science accomplit de réels progrès en la matière, notamment grâce au physiologiste Paul Bert, et il faut attendre le XXe pour voir posées les grands principes permettant non seulement d’expliquer les accidents de décompression mais aussi, et surtout, de les prévenir. C’est vraisemblablement à l’écossais John Scott Haldane que l’on doit la première forme de table de décompression. Elle sera utilisée de 1908 à 1958 et la méthode de calcul est toujours utilisée.
Dans les années 1940-1950, le sujet fait l’objet de nouvelles recherches, en raison à la fois de l’importance acquise par les nageurs de combat dans les troupes de marine durant la Seconde Guerre mondiale, concomitante avec l’apparition de la plongée autonome militaire. L’US Navy fait figure de précurseur avec la table Shilling-Willgrube, et l’Italie avec Aalbano. Exprimée en pieds, la table américaine est transposée dans le système métrique par le GRS (Groupe de recherches sous-marines) en 1948.
Depuis, les tables de décompression ont connu de multiples versions, au fil des mises à jour réalisées par quelques organismes. En France, il fut courant de se référer à la table GERS65, qui ne sera remplacée qu’en 1990. Depuis, les ordinateurs, plus lisibles, ont tendance à prendre le pas sur les tables plastifiées, même s’ils ont eux-mêmes leurs limites.
Mais revenons aux montres…
Il faut partir du principe que toutes les plongées sont planifiées (heure d’immersion, profondeur maximale atteinte,temps de plongée, paliers) avant l’immersion.
Avec le profondimètre (instrument de mesure de la profondeur a un instant donné), et le manomètre (instrument de mesure de la pression, et donc du volume, d’air dans la bouteille), l’instrument de mesure du temps est le meilleur ami de l’homme en immersion.
Sa lunette tournante peut avoir différentes fonctions selon les modèles, la plus classique étant la lunette de zéro à soixante a minima graduée toutes les cinq minutes (norme ISO), qui permet de positionner le zéro et d’indiquer ainsi « la minute » de remontée. Si l’on rajoute une fonction de chronométrage en temps contraint, cela permet de mesurer les durées de palier indiquées préalablement sur les tables de plongée.
Illustration rapide :
J’ai décidé de plonger à trente mètres pendant vingt minutes, la table MN90 m’indique que j’aurai deux minutes de palier à trois mètres. Je débute ma plongée à 9h10, je vais donc positionner le zéro de la lunette à 9h30 et déclencher la mesure du temps du palier lorsque je serais arrivé à trois mètres pour décompter deux minutes.
Un usage privilégié sur les montres militaires
Le premier modèle équipé d’une lunette de décompression que j’ai rencontré est l’Eterna Super KonTiki, une montre de plongée robuste, qui a équipé les forces spéciales israéliennes à la fin des années 1960. La particularité de ce modèle, outre le système de roulement à bille permettant la rotation de la masse oscillante — dont la marque a fait son emblème —, tient dans cette rare lunette dite « de décompression ». Celle-ci indique des profondeurs et permet de mesurer la limite de temps d’immersion mesurée en minutes.
Pour l’utiliser, il suffit de positionner le triangle face à l’aiguille des minutes. À une profondeur donnée, le plongeur sait qu’il peut rester immergé jusqu’à ce que l’aiguille arrive en face de la profondeur correspondante.
Les tables de la Marine nationale
En 1962, la table Marine nationale va jusqu’à 91 mètres. En 1965, le Groupe d’études et de recherches sous-marines (GERS, fondé en 1950 et héritier du GRS mis en place par Philippe Tailliez, Jacques-Yves Cousteau et Frédéric Dumas dès la fin de la guerre) établit les tables avec des tissus à périodes qui resteront en vigueur pendant vingt-cinq ans. Elles seront révisées en 1990 par la commission d’études pratiques d’intervention sous la mer de la Marine nationale (CEPISMER). Prenant l’appellation MN90, elles seront à nouveau révisées en 1996.
Certains modèles vont au-delà de ces indications sommaires et affichent un luxe d’informations sur l’espace réduit de la lunette. C’est le cas de cette Jenny Caribbean 1000.

L’utilisation de cette lunette a été décrite par Subkrawler sur le forum Watchuseek :
Si l’on regarde la lunette de près et qu’on se concentre sur les deux premières des trois bandes concentriques, on peut calculer les temps de plongée avec et sans décompression. La bande la plus proche du cadran affiche le nombre 60, avec le chiffre 5 à côté de la ligne. Ce nombre 60 désigne la profondeur (en pieds) et le 5, le temps écoulé comme sur une lunette classique.
Si l’on regarde maintenant la bande du milieu, qui contient les nombres 60, 70, 80, 100. Ces nombres correspondent aux minima de temps.
Quant à la troisième bande, celle qui est le plus à l’extérieur, elle contient les nombres 0, 2, 7, 14. Ce sont les délais éventuels de décompression.Maintenant, à l’eau ! Prenons l’hypothèse d’une plongée à 60 pieds. Le plongeur cherche alors le nombre 60 sur la bande intérieure de la lunette. Sur la deuxième bande, les nombres 60, 70, 80, permettent de déterminer le temps d’immersion à cette profondeur et la troisième affiche, pour chaque durée, le temps de décompression à respecter. Par exemple, si notre plongeur reste immergé 80 minutes à 60 pieds, il devra respecter un palier de 7 minutes.
Sur le manuel d’instructions reproduit ci-dessus, l’échelle des profondeurs est graduée en mètres mais le principe est le même.
Références
- Plongee.be. [Fr] Sur ce blog belge, vous trouverez un historique sur les tables de décompression, à la fois complet et accessible.
- Forum-mdp.com. [Fr] Le forum MDP (pour « montre de plongée ») est le forum francophone de rendez-vous incontournable.
L’idée de cet article m’est venue de la rencontre avec un collectionneur passionné de plongée, connu sur les forums sous le pseudonyme de Petit Fred. Devant la lunette de décompression de l’Eterna Super-KonTiki, il m’a fait un petit cours passionnant que j’ai eu envie de creuser et de transposer ici, sans pour autant noyer le lecteur ! Qu’il soit remercié pour son aide et sa passion contagieuse…
Encore un brillant article clair et concis.
Tous mes remerciements
Ney.
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Merci pour ce commentaire, ça fait très plaisir ! 🙂
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