Zenith réf. A277 : il ne lui manque qu’une star…

Entre les Rolex Daytona, Omega Speedmaster et Heuer Autavia, le marché des chronographes sportifs est bien occupé à la fin des années 1960. Dans le radar des collectionneurs, ces trois modèles occupent les places d’honneur, occasionnellement concurrencés par Universal Genève, Girard Perregaux ou Mathey Tissot. Zenith, avant l’apparition du calibre El Primero qui reste en mémoire comme le premier mouvement de chronographe automatique, avait pourtant largement de quoi se défendre avec son A277.

Est-ce, pour une part, une affaire de communication ? Sans doute. Si Omega, Heuer et surtout Rolex ont assis la réputation de leurs garde-temps sur leurs qualités intrinsèques, la prospérité de ces trois marques doit aussi largement au fait qu’elles dominent l’industrie horlogère suisse dans le domaine du marketing. S’agissant des qualités mécaniques et esthétiques, Zenith n’a pas grand-chose à leur envier mais il est incontestable que la visibilité de la marque n’a jamais fait l’objet d’une promotion à la hauteur des autres. Résultat : des pièces remarquables qui connaissent une « carrière » en demi-teinte malgré leur qualité, leur design et leur rareté. Songeons, pour nous en convaincre, aux plongeuses S.58 et A3630 : ces montres haut-de-gamme, à calibre « maison », mériteraient bien plus d’audience qu’elles n’en ont aujourd’hui.

Voir aussi

Zenith A3630

Il en va de même pour les chronographes. Si la production de chronos Zenith est restée relativement inaperçue, dans l’ensemble, il serait pourtant vivement regrettable de passer à côté du chronographe CP-2 commandé par le concessionnaire romain A. Cairelli, dont la plus grande partie de la production (2000 exemplaires sur 2500 commandés) fut affectée aux pilotes de l’armée de l’Air italienne (Aeronautica Militare Italiana) :

Toujours dans le domaine des montres de pilotes, une étrange amnésie nous a fait oublier que Zenith, à l’instar de Longines, Omega et Helvetia, les a presque inventées et développées dès les débuts de l’aventure aéronautique. Qui se rappelle que le Français Louis Blériot, premier homme à traverser la Manche en avion, en 1909, portait une montre Zenith à son poignet ? Qui se souvient des Fliegeruhren des années 1930 ou des splendides chronographes fournis à l’armée de l’Air yougoslave dans les années 1950 ?

On passerait enfin à côté du sujet en oubliant que Zenith figure encore, à l’orée des années 1970, parmi les rares manufactures indépendantes. Produisant ses propres mouvements pour les montres à trois aiguilles, la firme du Locle est également en mesure de le faire pour les chronographes à partir de 1960 — après s’être fourni chez Excelsior Park. C’est en effet à cette date que la maison prend le contrôle majoritaire et intègre en son sein la manufacture Martel Watches, spécialisée dans les mouvements à complications et partenaire historique d’Universal Genève. On doit à Martel, notamment, les calibres UG 285 et 287.

Martel Watches

Après avoir établi une première fabrique au Locle en 1911, Georges Pellaton-Dubois installe ses ateliers aux Ponts-de-Martel en 1915. C’est là que la société développe des ébauches terminées dans les locaux de Mathey-Tissot. Spécialisé dans la fabrication de mouvements de chronographes de poignet, Martel entame une longue collaboration avec Universal Genève dès 1918. Devenue manufacture en 1940, l’entreprise commercialise une gamme de modèles pendant une vingtaine d’années, jusqu’à la prise de contrôle par Zenith, en 1960. Pour la firme à l’étoile, Martel réalise notamment la série des calibres 146 (146-H à trois compteurs, 146-D à  deux compteurs, 146-DP à retour en vol) et celle des chronomètres 25xx. Par ailleurs, c’est dans ses ateliers que sera assemblé le fameux calibre 3019 « El Primero ».

Martel disparaîtra en 1976, victime de la crise traversée par le groupe Movado-Zenith-Mondia. Dévasté par un incendie en 1977, le bâtiment abritera par la suite une… charcuterie.

Ce sont donc les équipements et le savoir-faire de Martel qui permettront à Zenith de sortir les calibres 146 pour équiper ses chronographes dans les années 1960 et, en particulier, celui qui va nous intéresser ici : l’A277.

ZENITH A277, circa 1968.
Tour d’horizon du chronographe A277

La plupart de ceux qui ont eu cette montre entre les mains l’affirment : il s’agit là de l’un des plus beaux chronographes produits par Zenith. Je suis heureux de pouvoir, depuis peu, en témoigner personnellement ! Souvent croisée sur la Toile, approchée un jour de près chez un marchand parisien, elle me faisait rêver depuis un bail et je n’ai vraiment pas été déçu lorsque le rêve est devenu réalité.

Le boîtier,  bien que très légèrement plus trapu, présente de très fortes similitudes avec celui qui abrite les chronographes 4ATM produits par Dodane à la fin des années 1960, les grands chronographes Universal Genève Aero-Compax et quelques autres, au point qu’on a tout lieu de soupçonner un fournisseur commun. Toutes partagent le même diamètre, très respectable, de 40,5 mm.

Poli, il est doté de cornes aux subtils chanfreins qui les allègent visuellement, de face et de profil, sans pour autant les rendre trop fluettes. Ces boîtiers sont, à mon humble avis, parmi les plus réussis qu’il m’ait été donné d’avoir au poignet.

Dimensions

LHC : 40,5 mm.
LHT : nd.
EC : 22 mm.
EHT : nd.

La lunette tournante est pourvue d’un insert anodisé gradué en minutes, trahissant la vocation nautique de ce chronographe précurseur des Super Sub Sea. Souvent, notamment sur les exemplaires de première génération comme celui-ci, le fond noir de ce dernier a pris des nuances de gris-bleu plus ou moins fantomatiques, du plus bel effet.

ZENITH A277, circa 1968.

Passons au deuxième sujet d’émerveillement (enfin à mon avis du moins) : le cadran. Suivant la mode de l’époque pour les chronographes sportifs, il adopte un fond noir et des registres blanc (blanc cassé en réalité) comme on les trouve sur des quantités de concurrents : Rolex Daytona, Heuer Autavia, Breitling Navitimer, Enicar Sherpa Graph, Jet Graph et Aqua Graph, Universal Genève Compax…

ZENITH A277, circa 1968.

Au nombre de trois, les compteurs sont généreusement dimensionnés et inspirent une sensation visuelle assez proche, malgré la différence de gabarit, de l’Heuer Autavia 2446 dite « Jochen Rindt » (39 mm de diamètre et 19 mm d’entre-cornes) et plus encore de l’Enicar Aquagraph (40,5 mm de diamètre et 20 mm d’entre-cornes). Est-il utile de préciser que c’est un compliment  ?

Non contents d’avoir parfaitement proportionné les compteurs, les concepteurs ont aussi remarquablement dessiné la minuterie. Simplicité, sobriété, lisibilité ont été les maîtres-mots. La graduation en quart de secondes du chemin de fer extérieur, l’absence d’échelle superflue (tachymétrique ou autre) ont permis d’obtenir un design d’une grande pureté, que peut d’ailleurs lui envier sa cousine Movado (voir plus loin), plus conventionnelle et chargée.

ZENITH A277, circa 1968.

Ce cadran est parcouru par une paire d’aiguilles heures-minutes typiques de la marque, qui fait irrésistiblement penser à celle de la S.58. La grande seconde est fine et droite, tout comme celles des sous-compteurs, qui présentent la particularité d’être bleuies.

Le fond de boîte arbore la rose des vents traditionnelle de la marque, sans littérature superflue, juste le numéro de série discrètement gravé. La classe.

ZENITH A2777, circa 1968.

Bracelet ladder

Mon exemplaire est venu sans bracelet acier. Elle aurait, sinon, chaussé ce bracelet produit par Gay Frères, surnommé « ladder » (échelle en anglais) en raison des maillons ajourés dont la suite fait songer à une échelle.

Ce même type de bracelet équipera d’autres modèles Zenith à vocation nautique, tels que la Super Sub Sea.

Côté mécanique, la belle se meut grâce au calibre 146H directement issu de la manufacture Martel (cf. infra) :

Du type I au type II…

Le type II varie relativement peu par rapport au type I, comme en témoignent ces deux images extraites du site Rarebirds.de, où un autre exemplaire est actuellement disponible à la vente. Les différences tiennent à la lunette, comme déjà évoqué plus haut, aux aiguilles des sous-compteurs (désormais mordorées) et à celle de la grande seconde (peinte en blanc et pourvue d’un petit rectangle lumineux).

La couronne évolue également : l’étoile à cinq branches cède la place à la rose des vents qui orne également toujours le fond de boîte.

Il serait toutefois prudent de se garder de toute segmentation trop rigide entre les types I et II car il n’est pas impossible que des exemplaires de transition soient sortis des ateliers, au gré de l’épuisement des stocks de pièces.

À noter

Quelques A277 ont été distribuées par l’horloger Türler et en portent la marque sur leur cadran, comme en témoigne l’exemplaire montré ici.

La type II évolue par ailleurs au plan mécanique puisqu’elle troque le calibre 146H au profit de son évolution 146HP. Le P fait référence au spiral plat adopté sur cette version, qui contient quelques autres changements dont, notamment, l’utilisation de l’antichoc Kif à la place de l’Incabloc, d’une roue de balancier Glucydur et d’un nouveau régulateur. Les spécialistes préfèrent parler d’évolutions que d’améliorations par rapport au 146H, ce dernier restant plus convaincant.

La cousine Movado

Il serait difficile de proposer une revue complète de la Zenith A277 sans évoquer sa proche cousine. Nous sommes en 1967, année des premières concrétisations capitalistiques du rapprochement entre Zenith et Movado. Le président de Zenith, partisan de longue date de cette union avec son partenaire américain, voit le projet aboutir par, en 1969, une fusion à trois embarquant la société Mondia. Même si la prise de contrôle par les Américains de la manufacture fait grincer dans la Confédération helvétique, elle est finalement la bouée de sauvetage sans laquelle Zenith aurait, comme bien d’autres fleurons de l’horlogerie suisse, probablement périclité.

Charles Vermot, sauveur du patrimoine de Zenith

Charles Vermot mérite que son nom soit connu. En 1975, alors que Mondia décide de consacrer Zenith à la seule production de montres à quartz, il cache les plans, pièces et outils nécessaires à la fabrication de calibres mécaniques pour les sauver de la destruction. Près de dix ans plus tard, en 1984, alors que les mouvements mécaniques retrouvent les faveurs du marché, il restitue à Zenith l’outil de production qu’il avait mis à l’abri. La fabrication du calibre El Primero peut redémarrer, entrer de nouveau dans les chronographes Zenith et même animer une nouvelle génération de Rolex Daytona.

Source : Zenith.

Pour revenir à notre chronographe Movado, quelle meilleure présentation que l’exemplaire ci-dessous, littéralement en état neuf et full set, disponible chez Shucktheoyster au moment où nous tapons ces lignes. La plupart des pièces sont communes avec la Zenith : carrure, lunette de la type I, aiguillage de la type II et, bien sûr, le mouvement 146-HP (pont signé Movado).

En somme, la Movado diffère par un cadran qui intègre notamment une échelle tachymétrique et des compteurs de diamètre plus réduit, un fond de boîte spécifique et une couronne de remontoir guillochée portant le logo de la marque.

Quelques exemplaires portent un double marquage Movado et Zenith , comme celle-ci cédée par Massimiliano (GLC Straps) :

Vintage Today Watches a même déniché une version particulièrement cool (ci-dessous) dénommée « Carrera Grand Prix », dont quinze exemplaires auraient été commandés par un club de porschistes du canton de Lausanne !

Par la suite, cette Movado adopte un aiguillage blanc spécifique, du plus bel effet :

MOVADO Super Sub Sea, circa 1970.
Conclusion

Le chronographe A277 cède progressivement la place, au détour de 1970, à un modèle référencé A3736 (première à gauche sur la photo de catalogue ci-dessous). Ce dernier, décliné en trois couleurs, prend également le nom déjà retenu pour la Movado : Super Sub Sea. Plus épaisse et plus colorée, cette nouvelle génération emprunte à Omega l’idée d’une lunette interne mobile actionnée par une seconde couronne positionnée à 10 heures.

ZENITH, catalogue commercial.

Avec sa très forte personnalité et  son honorable succès commercial, cette Super Sub Sea fera un peu oublier le chronographe A277, lequel mérite pourtant une place parmi les chronographes sportifs iconiques des années 1960.

ZENITH A277, circa 1968.

L’A277 n’a qu’un seul handicap face au quatuor de tête de la catégorie : quand Paul Newman, Jochen et Nina Rindt, Eric Clapton, Ed White et ses collègues ont rendu illustres les Rolex Daytona, Heuer Autavia, UG Compax et Omega Speedmaster, qui peut citer un sportif de classe mondiale, un acteur mythique ou un grand artiste connu pour avoir porté un chronographe Zenith ?

L’ironie est là : ce qui a manqué à la marque étoilée, c’est finalement… une star !

Références

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