Laventure Automobile : conception remarquable, lancement discutable ?

Depuis qu’il a lancé la marque Laventure, il y a déjà cinq ans, Clément Gaud ne cesse d’épater les amateurs par l’opiniâtreté et le perfectionnisme dont il fait preuve dans le développement de ses montres. Sa dernière-née, le chronographe Automobile, a fait un passage éclair sur le site, les exemplaires disponibles ayant été razziés en quelques secondes, faisant de rares heureux et beaucoup de frustrés. Alors Coup marketing, emballement irrationnel ou simple rançon du succès ?

Il venait d’une agence de design horloger établie à Neuchâtel mais il avait un rêve culotté : avoir sa propre marque de montres. Ainsi, après croquis, prototypes enthousiasmants à la foire de Bâle de février 2017 et un démarrage par financement participatif en juin de la même année, naquit Laventure Watches. De la Marine à la Marine II en passant par la Sous-Marine et la Transatlantique, quatre modèles se sont succédé sur les planches de Clément Gaud.

Côté design, on reconnaît immédiatement une Laventure : bien campée sur le poignet, elle dispose d’une carrure mariant subtilement les angles et les courbes surmontée d’une lunette massive de laquelle dépassent, de part et d’autre, des épaulements qui rendent hommage à la Patek Philippe Nautilus du génial Gerald Genta. Le cadran, de type « sandwich » (deux plaques superposées) est une magnifique utilisation d’un procédé cher à Panerai : la plaque supérieure, ajourée, crée un effet de relief et une très nette délimitation des index lumineux. Du chemin de fer aux aiguilles en passant par les index, moderne et nostalgique à la fois, l’ensemble est d’un équilibre parfait.

Au-delà, tous les modèles de la famille reflètent une sensibilité esthétique nourrie de références classiques incontestables et habilement « revisitées ». Tous révèlent aussi le soin extrême qu’accorde Clément dans la réalisation de ses montres — si méticuleux qu’il s’attache à tout contrôler personnellement et en détail jusqu’à la fermeture du paquet. Tous traduisent, enfin, une préoccupation à la fois farouchement chauvine, incontestablement puriste et délicieusement désuète : sortir des montres intégralement fabriquées en Suisse.

Cohérente et exigeante, cette démarche a bien sûr un prix : des séries très limitées, des délais de conception, de fabrication et d’assemblage importants et, logiquement, des prix qui placent Laventure hors de portée de la première bourse venue. Pour autant, elle recueille une audience qui ne se dément pas, au point que cela deviendrait presque un problème…

Lancée le 21 juin dernier sur son site après des semaines de teasing, la dernière réalisation de Clément Gaud a provoqué, en effet, une vague de réactions vigoureuses, marqueurs d’une époque où les capricieux et les opportunistes se multiplient plus vite que les vrais amateurs…

Laventure Automobile : trois compteurs et un mouvement « maison »

Cadran percé de quatre trous, séries de petites aiguilles, silhouette floue laissant distinguer des poussoirs… Les coins de voile, levés au fil des semaines sur les réseaux sociaux depuis avril dernier, avaient vite éventé le concept : la prochaine Laventure serait un chronographe. Durant cette période de teasing, une nouvelle inattendue est toutefois arrivée. Début juin, publiant l’aperçu d’un schéma de conception, Clément Gaud révélait que le modèle serait doté de son propre mouvement, le Laventure Calibre I, conçu en collaboration avec Chronocode et Dubois-Dépraz, deux manufactures au pedigree impeccable. Ce mouvement automatique à haute fréquence (28 800 A/h) et 60 heures de réserve de marche est très caréné et présente de superbes finitions que les heureux propriétaires de Laventure Automobile pourront admirer à travers le fond transparent. 

Au recto, ils retrouveront sans surprise la carrure bien connue des connaisseurs de la marque, pourvue cette fois de deux poussoirs ronds à molette vissée — référence limpide au chrono Rolex Daytona. L’ensemble fait toujours 40,5 mm de diamètre hors couronne et 48,8 mm de longueur corne à corne. L’épaisse lunette, pour sa part, porte désormais la gravure des graduations classiques d’une échelle tachymétrique, soulignant encore la parenté avec les chronographes sportifs des années 1957-1970 et notamment ceux qui s’identifient à l’univers des bolides à quatre roues.

Sous le plexi « superdome », c’est un cadran « panda » qui apparaît, avec un fond crème sur lequel se détachent un ruban de minuterie et des compteurs vert foncé. Sur cette base générale, dans les proportions et le graphisme des compteurs, le chronographe Rolex apparaît encore clairement comme la source d’inspiration, plus particulièrement dans sa version dite « Paul Newman ». Mieux qu’un long discours, les images parleront d’elles-mêmes :

Suivant sa recette éprouvée, Laventure marie ainsi des repères classiques et immédiatement identifiables avec les codes graphiques propres auxquels la marque nous a habitués (cadran sandwich, design des index horaires, aiguillage central). De ce mix, beaucoup diront qu’il ne brille finalement pas par son originalité. Sans doute ignorent-ils que la démarche de Clément Gaud ne se situe pas dans cette perspective. Designer avant tout, il sait ce que doit l’horlogerie moderne aux icônes qu’ont laissé Patek Philippe, Rolex, Omega et quelques autres. Plutôt que de rompre pour rompre ou d’inventer à tout prix, il crée des montres de rêve à partir des montres de ses rêves. Partant de ce principe et en dépit des apparences, c’est tout un art d’obtenir un résultat harmonieux ; beaucoup s’y sont cassé les dents et force est de constater que Clément, a contrario, sait s’y prendre.

La ruée du 21 juin

Chauffés à blanc par l’annonce de la mise en vente de cette Laventure Automobile le 21 juin à 14 heures précises sur le site de la marque, avec une production annoncée de 99 unités seulement, les afficionados se sont littéralement rués à l’heure dite pour réserver leur exemplaire. Las, entre un serveur qui n’a pas bien encaissé le nombre de connexions simultanées et la prévente hors marché de bon nombre d’exemplaires à des professionnels et des clients fidèles, le stock disponible a été liquidé en un rien de temps. Sept minutes selon Clément Gaud, quelques dizaines de secondes d’après de nombreux clients qui, sur le coup, ont eu du mal à contenir leur frustration. Certains ont dû prendre des dispositions pour réunir les 8 200 CHF (soit environ 9 640 € ttc en France) nécessaires, d’autres ont campé virtuellement devant le site pendant des dizaines de minutes avant l’heure annoncée, au cas où l’ouverture du guichet aurait de l’avance… tout cela pour voir l’objet de leurs fantasmes s’effacer derrière la triste mention « Épuisé »

Les réseaux sociaux étant ainsi faits, les réactions ne sont guère fait attendre : entre les quelques messages de félicitations ou d’exultation des rares vainqueurs de cette course aux trésors en ligne, c’est une pluie de récriminations qui s’est abattue sur les comptes Instagram et Facebook de Laventure Watches. La vague a été aussi violente que fut intense l’excitation des candidats à l’achat. Excitation que l’on doit bien sûr à l’intérêt intrinsèque de la montre mais aussi, sans doute, à des raisons moins avouables : si l’on en croit les tarifs auxquels les modèles sont proposés sur Chrono24, l’effet de rareté semble avoir joué en faveur de la cote des Laventure sur le marché secondaire et il serait étonnant que, dans les bataillons d’acheteurs potentiels de l’Automobile, ne se soient pas trouvés des spéculateurs aux rêves de culbute envolés.

*

S’il faudrait avoir cette Automobile entre les mains pour juger l’engin en toute connaissance de cause, tout semble indiquer que sa carrosserie est réussie et qu’elle tient la route ! Sa conception artisanale et intégralement suisse justifie même le tarif élevé auquel elle a été proposée. Clément Gaud mérite, à ce titre, de vibrantes félicitations : sortir un chronographe de cette qualité et un mouvement maison à partir d’une feuille quasi blanche est en soi un exploit et le sien est d’autant plus remarquable qu’il a été réalisé « en solitaire ».

S’agissant du lancement, on peut déplorer qu’il se soit heurté à des soucis techniques et aux réactions disproportionnées d’une meute d’individus qui, non contents d’avoir gâché la fête, ont sans doute évincé des amateurs sincères. Même si nous nous situons à une tout autre échelle en termes d’audience, cet épisode rappelle celui du lancement récent de la gamme Moonswatch : même montée de mayonnaise, même hystérie. A l’heure où les réseaux sociaux réinventent le marketing, capter l’attention est plus difficile que jamais mais ces mêmes réseaux décuplent les envies, attisent les impatiences, attirent toutes sortes d’oiseaux. Une fois que l’attention est acquise, le plus grand défi devient alors de maîtriser les mouvements qu’elle engendre, cette « rançon du succès 2.0 ». Quand l’artisan passionné qui raisonne sur le temps long et travaille avec patience rencontre le consommateur post-moderne qui veut tout et tout de suite, deux mondes bien différents entrent en contact. Et si certains, à l’arrivée, n’ont pas compris la démarche de Laventure, crient leur dépit et tournent les talons… le mieux est peut-être, pour conclure, de simplement considérer le phénomène comme relevant de la sélection naturelle. Pour continuer à offrir du rêve, l’horlogerie aura toujours besoin des Clément Gaud mais elle se passera bien des opportunistes et des capricieux.


Bonus : la fratrie Laventure

Marine (2017)

Première arrivée, il y a juste cinq ans, la Marine est une trois-aiguilles connotée sport-chic et déclinée en trois couleurs de cadran (50 exemplaires de chaque) avec de faux airs de Patek Philippe Nautilus, lancée par financement participatif sur la plateforme Kickstarter. Audacieux, le pari a été remporté puisque la plupart des exemplaires ont été pré-vendus et que la totalité des trois séries a trouvé preneur.

Boîtier : acier poli/brossé, fond acier vissé, étanche à 200 m, diamètre de 40,5 mm hors couronne.
Mouvement : automatique ETA cal. 2824-2.
Versions : trois cadrans (brossé fumé vert, brossé fumé brun, brossé fumé bleu).
Séries : 50 exemplaires numérotés de chaque version.
Prix à la commercialisation : 1 540 € (Kickstarter) puis 2 370 €.

LIENS
. Le Petit Poussoir : « Lancement Kickstarter : Laventure Watches », par Ludovic B., 7 juin 2017.

Sous-Marine (2018)

Un an après la Marine, la Sous-Marine se présente comme une évolution de la première, typée cette fois clairement comme une montre de plongée. Avec une lunette mobile à cliquet et mouvement unidirectionnel, des repères lumineux encore plus visibles et une version à cadran noir laqué, la carrure caractéristique acquiert une nouvelle personnalité que renforcent encore l’introduction de bracelets de plongée type caoutchouc et le fond plein gravé, sans parler de la déclinaison en bronze, pour les amateurs.

Boîtier : acier poli/brossé ou bronze, fond acier vissé, étanche à 200 m, diamètre de 40,5 mm hors couronne.
Mouvement : automatique ETA cal. 2824-2 finition « top ».
Versions : boîtier acier et boîtier bronze mariés à trois cadrans (noir laqué, vert brossé fumé, bleu brossé fumé).
Séries : 50 exemplaires numérotés de chaque version.
Prix à la commercialisation : 2 390 € (acier), 2 700 € (bronze).

LIENS
. Les Rhabilleurs : « Laventure Watches : l’aventure continue avec la Sous-Marine », par Nicolas Amsellem, 11 juillet 2018.
. The Watch Observer : « Laventure Sous-Marine : des montres de plongée très réussies », par Pierre Gisclard, 28 mai 2019.
. Le Petit Poussoir : « Une journée avec la Laventure Sous-Marine », par Ludovic B., 25 juillet 2018.

Transatlantique (2020)

Avec la Transatlantique, Laventure aborde le thème de la montre GMT en agrémentant cette fois l’engin d’une quatrième aiguille et d’une lunette mobile bicolore en plexiglas dont l’aspect fait immanquablement penser à la légendaire Rolex GMT-Master ref. 6542. Le vert domine pour cette superbe GMT qui inaugure aussi un bracelet acier intégré (compatible avec les autres modèles de la marque).

Boîtier : acier poli/brossé, fond acier vissé, étanche à 200 m, diamètre de 40,5 mm hors couronne.
Mouvement : automatique ETA cal. 2893-2 finition « élaboré ».
Versions : cadran crème, cadran vert.
Séries : 50 exemplaires numérotés de chaque version.
Prix à la commercialisation : 3 780 €.

LIENS
. Les Rhabilleurs : « Laventure Transatlantique GMT : le seul vol long-courrier du moment », par Nicolas Amsellem, 29 juin 2020.
. Mr Montre : « Laventure prend le vert avec sa Transatlantique GMT », par Adeline Pol, 6 juillet 2020.
. Beans and Bezels : « Laventure Transatlantique GMT »,

Marine II (2021)

Lancée un an après la Transatlantique, la Marine II répond à un nouveau défi : proposer sous la boîte de la Marine de 2017 un cadran en or massif, la matière première bénéficiant d’une traçabilité garantie. Mise en vente le 21 juin 2021 sur le site de Laventure, la série était intégralement vendue en 34 minutes malgré une avarie du serveur.

Boîtier : acier poli/brossé, fond acier vissé, étanche à 200 m, diamètre de 40,5 mm hors couronne.
Mouvement : automatique Sellita SW200-1 modifié (sans date), 28 800 A/h, 41 heures de réserve de marche.
Versions : cadran or massif.
Séries : 99 exemplaires numérotés.
Prix à la commercialisation : 3 780 €.

LIENS
. Mrmontre.com : « Cadran en or massif pour la nouvelle Marine II de Laventure Watches », par Nicolas, 23 juin 2021.
. Fratello : « The Laventure Marine II Unveils A Solid Gold Dial And A New Direction For The Brand », par Rob Nudds, 21 juin 2021.

Automobile (2022)

Boîtier : acier poli/brossé, fond acier vissé, étanche à 200 m, diamètre de 40,5 mm hors couronne.
Mouvement : automatique Laventure cal. 1, 28 800 A/h, 60 heures de réserve de marche.
Versions : cadran crème, compteurs verts.
Séries : 99 exemplaires numérotés.
Prix à la commercialisation : 9 640 €.

LIENS
. Fratello Watches : « Laventure Automobile Chronograph With A Proprietary Movement — Marking A Huge Leap Forward For One Of The Industry’s Most Promising Brands », par Rob Nudds, 21 juin 2022.

Références

  • Crédits photos : Laventure Watches,

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