Ils sont quelques-uns, issus des bassins horlogers européens, à avoir tenté l’aventure en traversant l’océan pour conquérir le Nouveau-Monde. L’Allemand Dietrich Grün est de ceux-là. Apprenti horloger en Suisse en 1862, il a quinze ans et sans doute déjà bien des rêves en tête. Cinq ans plus tard, il émigre aux États-Unis et révise l’orthographe de son patronyme, qui devient Gruen. Tombé amoureux de la fille d’un horloger établi dans l’Ohio, il s’installe en 1867 à Colombus et s’associe avec un homme d’affaires local pour fonder, deux ans plus tard, la Columbus Watch Company.
Dans la cave d’un bâtiment du centre-ville, il travaille à partir d’ébauches suisses. En 1874, il dépose son premier brevet pour un pignon de sécurité pour montres de poche qui protégeait le mouvement des dommages en cas de rupture du ressort moteur. Sous la marque éponyme et une quantité d’autres créées au fil du temps (environ 130 noms déposés, dont le fameux « Precision »), Gruen produit d’abord des montres de poche de bonne qualité. Celles-ci rencontrent rapidement un réel succès permettant le développement de l’entreprise avec divers partenaires. Bientôt, les 150 employés de la maison Gruen produisent 300 montres par jour.
Les affaires finissent toutefois par tourner mal et Dietrich Gruen, en désaccord avec son associé, est contraint de quitter la société Colombus en 1893. Un revers qui ressemble bien vite à une opportunité : l’année suivante, il remonte une affaire avec son fils, Frederick, qui a effectué des stages chez Glashütte en Allemagne. Sous le nom de D. Gruen & Son puis de Gruen Watch Company à partir de 1898. Malgré la mort de Dietrich, en 1911, le succès est encore au rendez-vous et Gruen obtient même des contrats pour fournir l’armée américaine.
De Colombus à Cincinnati
Gruen déménage en 1917 à Cincinnati, en Ohio, où il s’établit quelques temps en centre-ville avant de faire construire une manufacture sur les hauteurs, dans un calme propice aux travaux d’horlogerie. C’est dans ce bâtiment spectaculaire, baptisé Time Hill et inspiré d’un siège de corporation découvert en Belgique, que sera produite, entre 1921 et 1958, la majorité des modèles de la marque.
GRUEN, établissement de Time Hill, Cincinnati.
Dans un discours prononcé devant un groupe d’hommes d’affaires dans les années 1920, Fred Gruen déclare : « Notre but a toujours été, depuis que j’ai lancé l’idée de la Guilde, de promouvoir les idéaux des anciennes corporations, de qualité et de savoir-faire, de faire des choses utiles d’une belle façon, dans un cadre idéal. Nous croyons en l’application de l’art à l’industrie, comme en témoignent toutes nos activités, de la construction d’une usine dont le style architectural suggère l’artisanat à la fabrication des montres les plus belles, avec la plus grande précision possible. »
À Time Hill, Gruen reçoit les ébauches commandées en Suisse, taille les pierres, fabrique les boîtiers et les bracelets, procède à l’assemblage, aux finitions et ajustements, et lance même un service de remise en état des montres endommagées. Les affaires sont assez prospères pour que la société résiste à la Grande Dépression et c’est d’ailleurs en 1935 que sort la fameuse Curvex, cette montre rectangulaire à la forme incurvée qui épouse si naturellement le poignet.
GRUEN Curvex, publicité.
Des montres intéressantes sortent ainsi de la manufacture, telles que la Gruen Super-G animée par un calibre 422 RSS. Ce modèle étonnant présente une lecture de l’heure sur 24 heures avec un système d’heure sautante : le cadran est percé de douze guichets laissant apparaître une platine qui se décale deux fois par jour pour afficher alternativement les douze premières puis les douze dernières heures. Ce dispositif sera ensuite repris sur d’autres références de la marque avec les calibres N510 CA et N510 SS.
GRUEN Super-G, cal. 422 RSS, 1957.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Gruen contribue à l’effort en convertissant son outil de production pour fabriquer des instruments de précision (compteurs et jauges) et des tableaux de bord ainsi qu’une montre devenue emblématique, la Pan American Watch, fournie à l’armée de l’Air américaine puis proposée au grand public.
GRUEN Pan-American, publicité d’époque.
Un long déclin après-guerre
Toutefois, la mort de Fred Gruen, en 1945, marque le début d’une longue période de déclin. La marque résiste difficilement à l’afflux de montres suisses sur le marché américain, malgré la mise au point d’un mouvement 21 rubis à fabrication 100 % américaine.
Une Gruen dans les Canons de Navarone
Repérée par le site Watchesinmovies.info, une Gruen apparaît au poignet du capitaine Keith Mallory, alias Gregory Peck, dans le célèbre film anglo-américain de J. Lee Thompson retraçant de manière épique un épisode de la Seconde Guerre mondiale.
GRUEN Precision au poignet de Gregory Peck dans Les Canons de Navarone,(1961).
Vendue en 1953, la société familiale connaît cinq années de sévères turbulences. Entre erreurs de management et querelles d’actionnaires, Gruen est ballotté, s’endette, réduit ses effectifs, liquide ses moyens de production et détruit même ses archives… Moribond, Gruen trouve finalement un repreneur new-yorkais en 1958 et devient Gruen Industries. Celui permet à la marque de survivre en produisant des montres mécaniques de ville et de plongée jusqu’à ce que la crise du quartz l’emporte définitivement en 1976.
Avec Hamilton, Bulova et Elgin, Gruen était l’un des plus grands fabricants horlogers des États-Unis.
Références
Forum Horlogerie suisse. [fr] D’intéressantes informations ont été réunies par ChP sur cet excellent forum.
Cincinnatiwatch.com. [en] Article hommage à la période où Gruen était établi à Time Hill.
Pixelp.com. [en] Le site de référence sur l’histoire de la société Gruen. Linéaire, le récit de l’histoire de la marque est le plus complet que l’on puisse trouver, notamment jusqu’aux années 1940.
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