Pourquoi les montres destinées au marché américain ont-elles parfois moins de rubis ?

Vous avez peut-être déjà observé que que les mouvements marqués « 24 rubis » passent mystérieusement à 17 rubis lorsqu’ils sont montés sur des exemplaires exportés aux États-Unis. Voici pourquoi.

En fait, la réponse est liée aux politiques protectionnistes pratiquées depuis plus d’un siècle par les États-Unis, qui ne sont pas les grands hérauts du libre-échange que l’on croit parfois… Historiquement, les importations vers le marché américain étaient uniformément taxées à 25 %. À partir de 1897, une taxe forfaitaire est appliquée à partir de sept pierres : 0,73 $ pour 7 rubis, 1,25 $ pour 17 rubis. Le seuil est fatidique : au-delà, la taxe passe à 3 $ !

Cette mesure, destinée à protéger une industrie horlogère locale qui s’efforce d’émerger face à la puissante corportation helvétique, fait son effet. Elle oblige les maisons horlogères à « dégrader » les mouvements contenus dans certains de leurs modèles afin de ne pas dépasser les 17 rubis. Dissuasive, la mesure est renforcée à plusieurs reprises : en 1909, une taxe de 25 % de la valeur est ajoutée et la partie forfaitaire est portée à 10,75 $ en 1922…

Le Fordney-Mc Cumber Tariff Act, 23 septembre 1922

Extrait : « Les cadrans de montres […] doivent porter peint ou imprimé d’une façon indélébile le nom du pays d’origine. Les mouvements et platines de montres, importés, assemblés ou démontés, ainsi que les boîtes, doivent mentionner taillés, gravés ou poinçonnés, les noms du fabricant ou de l’acheteur et du pays de fabrication, respectivement sur la platine du mouvement et à l’intérieur de la boîte ; de plus, les mouvements et platines devront porter l’indication du nombre de rubis et des réglages (ajustés ou non ajustés). Le département du Trésor américain admet la pratique antérieure selon laquelle le mot Swiss est suffisant comme désignation d’origine. »

Et ainsi de suite : la législation protectionniste des États-Unis est renforcée à maintes reprises au cours du siècle, poussant les manufactures suisses à chercher des solutions de contournement. En particulier, à partir de 1913, les mouvements doivent être importés avec la mention « unadjusted », indiquant qu’ils n’ont pas fait l’objet de réglages postérieurs à l’emboîtage (en 1922, le Congrès instaure une taxe de 2,75 $ pour un mouvement déclaré non ajusté, contre 6,50 $ s’il est ajusté pour cinq positions). Par ailleurs, l’assemblage de certains modèles est parfois achevé aux États-Unis par des partenaires. La marque Gigandet-Wakmann, par exemple, estampille des chronographes d’origine Breitling dans les années 1940-1950, tout comme Wittnauer, racheté par Longines en 1950.

Pour revenir aux 17 rubis, les manufactures concevaient donc des variantes « dégradées » de leurs meilleurs mouvements. Par exemple, les mouvements 55X, chez Omega, ont été produits sous les références 551 (chronomètre) et 552, mais aussi sous la référence 550 pour le marché américain. Dans ce dernier cas, l’empierrage est réduit à 17 rubis, contre 24 dans les autres versions, les rubis manquants étant remplacés par des bouchons métalliques.

Effet de leur rareté relative, les Rolex Submariner 1680 et 1665 « red » et « double red », qui étaient réservées au marché américain, cotent aujourd’hui beaucoup plus que les autres… mais leur mouvement est, lui aussi, limité à 17 rubis…

Swiss Made

On notera enfin que les fameuses mentions Swiss ou Swiss Made furent imposées par la législation américaine pour « discriminer » les montres suisses. Un journal démocrate de l’époque n’en a pas fait mystère :« Le but du Congrès en édictant les dispositifs du marquage a été de rendre la concurrence avec le producteur américain plus difficile et onéreuse, voire de réduire ou même d’exclure la concurrence. » Il est certain que les contraintes posées par l’administration américaine ont compliqué la tâche des manufacturiers mais l’ironie de l’histoire est que le label suisse est devenu, au contraire, le meilleur argument commercial dont pouvait rêver l’industrie horlogère helvétique !

 

Références

2 commentaires sur « Pourquoi les montres destinées au marché américain ont-elles parfois moins de rubis ? »

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