Ami lecteur, il ne vous aura pas échappé que l’auteur de ces lignes ne jure pratiquement que par les montres mécaniques. Période fétiche : les années 1950 et 1960. Le bruit du tic-tac, le frétillement de la trotteuse, le glissement discret de la masse oscillante, l’entrelacs perpendiculaire de roues et de pignons… comment des résistances, des circuits imprimés, des cristaux liquides et des piles boutons pourraient rivaliser avec ces automates géniaux, aboutissement de plusieurs siècles de perfectionnements techniques ?
Soyons honnêtes : cette vision ressort d’un certain conservatisme, d’un snobisme qui ne dit pas son nom et même, sans doute, d’une ignorance un peu crasse. Car si les montres « électriques » — embarquons sous ce terme les instruments horlogers tirant leur énergie vitale de l’électricité, dont les montres dites à quartz ne sont qu’une sous-catégorie — ne sont pas auréolées du même prestige que leurs ancêtres et cousines, si l’histoire de leur avènement est aussi celle d’une sorte d’invasion extra-terrestre qui ravagea l’industrie horlogère suisse en seulement quelques années après 1970, elles sont, tout de même aussi, les montres qui ont amené la haute précision et l’extrême polyvalence au poignet du plus grand nombre. Ce n’est pas rien.

Des madeleines de Proust
En entreprenant la réalisation de Collection électrique (éd. du Chêne), deux ans après le succès de son premier livre, Collection personnelle, ce collectionneur touche-à-tout qu’est Clément Mazarian a répondu à une impulsion intime : derrière l’envie d’explorer un pan de l’histoire horlogère encore assez méconnu du grand public et de se confronter à un sujet plus « technique », il y avait le désir implicite de passer sous la loupe les montres de son enfance. Partant des Casio et des Swatch que beaucoup d’entre nous ont connues, il a remonté la généalogie jusqu’aux premières montres électromécaniques (Bulova, Lip, Hamilton…) et prolongé les investigations vers le présent, jusqu’à l’Apple Watch, stade ultime — pour l’instant — de l’évolution.




Pour cela, Clément a mené, comme à son habitude, un travail de recherche aussi considérable que soigneux. Largement boudées par les collectionneurs, les montres électriques sont aujourd’hui encore peu documentées. Entre les sources éparpillées, les légendes tenaces et les angles morts, la reconstitution a été patiente et d’autant plus passionnante qu’elle l’a amené à croiser le chemin de collectionneurs érudits et d’acteurs clés de cette histoire, jusqu’à échanger avec un ancien haut dirigeant d’Ébauches SA qui fut aux premières loges de la fameuse « crise du quartz ».
Aussi loin des « précis techniques » assommants que des « beaux livres » un peu creux
En résulte un ouvrage qui, sur un sujet de « niche », réunit et perfectionne les ingrédients qui m’avaient enchanté dans le précédent, à commencer par l’équilibre trouvé entre les dimensions techniques, historiques et anecdotiques. Le cœur du livre est séquencé en six chapitres tout à fait cohérents et contextualisés (« Le pré-quartz », « Le quartz suisse », « La suprématie japonaise », « Le digital », « Le phénomène Swatch » et « Le quartz avancé »), dans lesquels sont présentés les modèles les plus emblématiques mais aussi d’autres moins connus, voire insolites. J’y apprécie toujours autant les « fiches signalétiques », tellement claires, jusque dans la représentation graphique des carrures ou des mouvements, et le contraste avec les photos de Henry Leutwyler qui leur font face : à l’heure des images retouchées, tellement trop lisses et désincarnées, la capture sans fard de ces montres sous une lumière crue qui magnifie presque chaque rayure et oxydation, les rend tellement réelles qu’on a l’impression d’ouvrir le tiroir de la table de nuit à chaque page !


Il semble que Clément ait trouvé la formule parfaite : dense et documenté, son livre ne laissera pas les connaisseurs sur leur faim ; didactique et remarquablement édité, il sera consulté avec plaisir par les amateurs ; incarné et engagé, il touchera le cœur des nostalgiques.
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Vous savez que les montres électriques ne sont pas spécialement mon truc et Collection électrique ne me fera certes pas virer ma cuti : je resterai fidèle aux mécaniques et à leur manière inimitable de tressaillir… mais j’ai appris plein de choses grâce à lui, la première étant que ces montres souvent boudées ou méprisées méritent bien plus d’attention et d’affection qu’on ne leur accorde généralement. Merci pour ces découvertes et merci pour elles !
Une info que vous que vous ne trouverez pas dans le livre
Contraintes d’édition obligent, Clément n’a pas pu intégrer dans son livre toutes les informations qu’il a glanées. En voici notamment une que vous n’y trouverez pas, que lui a confiée Giovanni Colacicco, un authentique puits de science, connu sous les pseudos @omegaprototypes et @electricwatchprototypes. À la fin du livre, Clément pose une question : l’Apple Watch est elle une montre ? La réponse est peut-être bien dans la vision prophétique qu’avait dès 1963 Roger Wellinger, premier directeur du Centre électronique horloger (CEH), fondé en 1962 pour développer la montre à quartz suisse. Dans l’extrait ci-dessous, il la voit intégrer les fonctions de multiples objets que l’on transporte quotidiennement sur soi, du calepin à la règle à calculer, en passant par le téléphone. Eloquent, non ?

« En ce sens, conclut Clément, l’Apple Watch réalise cette vision ambitieuse, dépassant les attentes de son époque. Donc… c’est une montre. En tout cas, elle répond au cahier des charges du CEH de 1963). »

